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Les livres recommandés par vos bibliothécaires - 38

Femme tenant une liseuse
Image par Perfecto_Capucine de Pixabay

Amélie et Lauriane nous recommandent vivement plusieurs romans ado : les deux premiers traitent du harcèlement en milieu scolaire et sur les réseaux sociaux ; le troisième est un thriller glaçant en plein camp de redressement pour mineurs et le quatrième, un roman qui se déroule dans une société où il est interdit et impossible d'être triste. Christophe poursuit sa lecture de M. d'Antonio Scurati en nous proposant son avis sur le 2e volet. Et enfin, Pierre a été bouleversé par le récit de l'avortement d'Annie Ernaux à vingt-trois ans (à retrouver en audio livre sur Bibook).

Silent boy / Gaël Aymon

Briser le silencePar Amélie, bibliothèque de Vif

Briser le silence

Anton est un lycéen plutôt discret. Il fait partie de l’équipe de rugby et de la bande de Hameza, alors on le laisse tranquille. Pas comme Nathan, qu’on traite de pédé. Pas comme Clara, qui subit des moqueries sur sa poitrine et tous les autres à qui on donne des surnoms ridicules, méchants. Même la prof d’espagnol n’y échappe pas, elle est la cible d’un groupe qui s’échine à mettre le bazar à chaque cours.

Même s’il a conscience de tout ça, Anton ne réagit pas. Ou peu. Interne dans son lycée, le soir il se connecte à un forum de discussion dans lequel il écrit peu mais s’y sent bien. Sous le pseudo Silent Boy, il suit les conversations des autres membres. La discrétion, toujours. Jusqu’à ce qu’un événement le réveille et le pousse à prendre la parole, sur le forum et dans sa classe.

Gaël Aymon parle ici des étiquettes qu’on nous colle. Profs, élèves, tout le monde y participe. Une particularité physique, un style vestimentaire, et ça suffit pour qu’on nous attribue un surnom, dans le meilleur des cas, ou qu’on s’attache à nous pourrir la vie continuellement. Des petits groupes tout puissants qui font régner la terreur. Rien de moins que du harcèlement.

Court toujours, une collection idéale pour les lecteurs qui ne veulent pas se lancer dans des gros romans. Et des sujets variés qui permettent de toucher tous les publics.

Queen Kong / Hélène Vignal

Queen KongPar Amélie, bibliothèque de Vif

Plus rien ne lui appartient

On ne connaît pas son prénom, elle pourrait être n’importe quelle ado. Elle est la cible d’insultes, de moqueries, d’un lynchage sur les réseaux sociaux. Par ceux qui se disaient ses amis, par ceux qui ne la connaissent même pas mais qui suivent bêtement le troupeau. Ou plutôt la meute. Groupe agressif qui s’est choisi une proie et ne la lâche pas. Son téléphone sonne continuellement pour annoncer les nouveaux commentaires. Cet objet qu’elle avait attendu avec impatience est maintenant un harceleur. Ils sont nombreux à la dénigrer et il lui fait savoir. Qu’est-ce qu’elle a fait pour mériter ça ? Elle a décidé de vivre sa sexualité comme elle l’entend. Elle sépare le sexe et l’amour et ça ne plait pas. Ce n’est pas un comportement de fille, ça, mais de mec, coucher sans s’attacher. Et ils s’acharnent sur elle, jaloux de cette liberté qu’elle s’autorise. Elle veut simplement profiter, explorer, écouter ses envies. Qu’on lui foute la paix. Mais sa sexualité ne lui appartient pas. Plus. Tout est balancé en place publique, tout le monde a son mot à dire.

Elle aura eu 4 partenaires, 4 expériences différentes. La troisième étant sa révélation : sensualité, douceur, écoute, complicité et non un rapport mécanique à sens unique.

Un roman coup de cœur merveilleusement écrit. Merci à Hélène Vignal pour ses mots justes, sur la sexualité, le désir et les injonctions de la société, et à Thierry Magnier de mettre en avant de tels textes.

The Wild / Owen Laukkanen

The WildPar Lauriane, bibliothèque de Meylan

Ne faites confiance à personne !

Dawn a 17 ans et cumule les mauvais comportements. Sa mère (n'en pouvant et n'arrivant plus à communiquer avec elle) décide de l'envoyer dans un camp de redressement en pleine montagne. Le principe ? Des adolescents rebelles ont trois mois pour faire une randonnée introspectives et se racheter. Le problème ? Ajoutez à cela des comportements douteux, des personnalités à fleur de peau, du danger, et vous obtiendrez un thriller palpitant et glaçant à souhait ! Dawn nous emmène avec elle dans ce petit groupe, nous intègre à son quotidien et c'est à travers ses yeux que la réalité se déforme peu à peu. La tension est palpable, et elle monte, elle monte, elle monte… Jusqu'à l'inévitable.

L'écriture est très novatrice, on alterne entre des passage à la troisième personne et des interventions de l'auteur qui rajoutent encore plus de piquant.

Digne d'une série noire, fameux mélange entre Sa majesté des mouches et Hunger Games, ce thriller saura glacer le plus terrible des ados !

#Bleue / Florence Hinckel

#BleuePar Lauriane, bibliothèque de Meylan

Complots et nouvelles technologies

Si vous avez lu Interfeel, vous allez adorer #Bleue, de Florence Hinckel ! Nouvelles technologies et complot se complètent à merveille. Les deux personnages principaux développent un esprit critique au fur et à mesure de l'histoire quant à l'organisation CEDE, ce qui aiguise la curiosité du lecteur.

Une société sans souffrance est-elle vraiment une société parfaite ?

 

M, l'homme de la providence / Antonio Scurati

M, l'homme de la providencePar Christophe, bibliothèque de Varces

M comme Mussolini, deuxième

Je vous ai longuement parlé dans ces pages de mon enthousiasme non mesuré pour le premier tome de l’incomparable projet d’Antonio Scurati d’écrire l’ascension et le règne de Benito Mussolini. Une œuvre démentielle aux frontières du roman, du récit et de l’essai historique.

Après L’Enfant du siècle, voici – rien de moins : L’homme de la providence. Pie XII nous l'affirme : "Peut-être fallait-il aussi un homme comme celui que la Providence a mis sur notre chemin ; un homme qui n’ait pas les soucis de l’école libérale". Dieu a donc voulu le Fascisme et son Duce. Le droit divin, évidemment. Le Seigneur ne doit pas être trop regardant sur le pédigrée du bonhomme plutôt connu jusqu’ici pour croquer du curé à tous les repas. Mais si c’est le Pape lui-même qui le dit…

Avec le Roi d’Italie qui se tait et se terre et les députés d’une opposition morte – au sens littéral comme au sens figuré – tels des "chatons aveugles enveloppés dans un sac" c’est finalement au sein de son propre camp que Mussolini aura plus maille à partir.

Dans ce second volume, c’est la volonté d’un homme et la puissance qui en émane qui effarent. Mussolini installe la dictature d’un seul homme. Mais aussi d’un homme seul. L’image est saisissante : le Duce cloîtré dans son immense bureau du Palazzo Venezia à la porte duquel son mutique majordome Quinto Navarra filtre les indésirables. Les fascistes s’entredévorent pour une place au soleil ; Margherita Sarfatti, la maîtresse "officielle" tombe en disgrâce ; le Vatican absout l’anticlérical de toujours aux accords du Latran ; l’opposant Amendola est bastonné à mort, le philosophe Gramsci emprisonné…

En fil rouge des 650 pages de L’homme de la providence : les guerres coloniales pour inféoder les tribus libyennes. Des combats sahariens sans souci des conventions sur les armes chimiques pourtant signées par l’Italie après la première Guerre mondiale et qui annoncent à la fois la fragilité militaire du régime et la sauvagerie d’une époque qui pointe son groin sale.

Mais nous n’y sommes pas encore. Ce deuxième tome couvre les années 1925 à 1932. La suite arrive et c’est peu dire que je languis de la découvrir tant Antonio Scurati est ici, à mon avis, l’égal d’un James Ellroy par son ambition littéraire qui, dans une sorte de mimétisme formel sidérant, consiste à devenir l’égal du monstre auquel elle s’attaque.

Je finis par une porte ouverte. La lecture de M – L’enfant du siècle puis de M – L’homme de la providence peut s’envisager comme une piqûre de rappel : ne sous-estimons pas le Fascisme. Car lui ne s’embarrassera d’absolument rien ni personne et ce, avec une vigueur sidérante, qui ne laissera "aux générations futures [que] la tâche ingrate de sonder la propension illimitée de l’espèce humaine à la soumission" (p.374 du l'édition numérique ; p.420 de l'édition papier).

L'événement / Annie Ernaux

L'évenementPar Pierre, Bibliothèque Kateb Yacine de Grenoble

Incarner la condition féminine

Dans ce récit autobiographique dont l'acuité sociologique fait tout le prix, Annie Ernaux illustre sa foi dans les pouvoirs libérateurs de la littérature. Armée de son seul journal intime et d'une mémoire à vif, elle cherche à trouver les mots les plus justes pour "rejoindre" son expérience d'alors, et incarner au mieux son vécu de jeune femme des années soixante déterminée à avorter.

Poids des conventions, curiosité malsaine de ses "amis" et lâcheté du corps médical, le parcours vers une vie librement choisie est semé d'embûches. Mais, en se retournant sans pathos sur la voie clandestine qu'elle a empruntée à tout juste vingt trois ans, Annie Ernaux conquiert sa voix et en offre une à de très nombreuses femmes trop longtemps réduites au silence. Bouleversant !

A retrouver en audio livre sur Bibook.