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Les livres recommandés par vos bibliothécaires - 37

Femme tenant une liseuse
Image par Perfecto_Capucine de Pixabay

Axelle a aimé cette dystopie qui aborde plusieurs sujets actuels. Justine s'est plongée dans une étude sociologique d'envergure sur les transidentités. Amélie nous recommande deux livres : le premier à l'attention des adolescents qui se questionnent sur les relations amoureuses et sexuelles et un autre, qui met à l'honneur l'héroïne de la mythologie grecques, Pénélope. Christophe a été conquis par le premier tome de cette oeuvre qui aborde l'ascension de Mussolini. Frédéric nous recommande ce court roman percutant qui met en avant la lutte des classes et les injustices sociales.

 

Sable bleu / Yves Grevet

Sable bleuPar Axelle, bibliothèque de Saint-Martin-d'Hères

Une dystopie écolo optimiste

La Terre va mieux, des bactéries mangeuses de pétrole obligent les humains à ne plus utiliser cette énergie. Ce roman d'anticipation se présente comme un journal. L'intrigue, sous forme d'enquête se manifeste par les émotions de Tess, lycéenne et militante écologiste, qui en plus de vivre sa première grande histoire d'amour, ressent des présences invisibles. Les talents de conteur de Yves Grevet ne sont plus a démontrer. L' auteur de METO, aborde une multitude de thématiques contemporaines : surconsommation, identité sexuelle, surveillance incessante des caméras dans un style entrainant, sans temps mort. A découvrir à partir de 13 ans.

Transfuges de sexe / Emmanuel Beaubatie

Transfuge de sexePar Justine, bibliothèque de Saint-Martin-d'Hères

Zoom sur les transidentités

Voici une étude sociologique d'envergure sur les transidentités qui aborde plein d'angles intéressants, par un sociologue lui-même concerné par le sujet. Emmanuel Beaubatie est docteur en sociologie, il a reçu le Prix de thèse 2018 du GIS Institut du genre et du Défenseur des droits pour sa thèse, dont découle cet ouvrage. Son étude montre que les trans n'ont pas tous et toutes la même expérience du changement : l'expérience de transition est façonnée par le genre (ascension pour les hommes trans, déclassement pour les femmes trans), et par la classe (les moyens financiers, le soutien familial, l'emploi stable ou non...). Ce qui ressort, c’est que vouloir sortir du genre masculin est perçu comme une aberration sociale. C’est aussi que les orientations sexuelles sont genrées, selon l'auteur. Il repère des modifications dans les attirances pendant et après certaines transitions. L’auteur aborde aussi la psychiatrisation de la transidentité (appelée dysphorie de genre), ainsi que sa judiciarisation (qui mène au changement d'état civil pour celles et ceux qui le souhaitent) : ces mouvements sociétaux sont perçus différemment selon les personnes trans (parfois positivement, parfois négativement). Les milieux trans militants produisent aujourd’hui de nouvelles normes de non binarité et de non hétérosexualité... qui ne sont pas partagées par tous les trans, et qu’on retrouve surtout parmi les catégories socioprofessionnelles supérieures, ou du moins hautement diplômé.es. Bref, le genre et la sexualité sont aussi des marqueurs de classe. Cette étude sociologique montre que tout est imbriqué. C’est une œuvre brillante, parfois touffue, mais qui apprend beaucoup sur les parcours des personnes trans, dans toute leur diversité.

Héroïnes de la mythologie : Pénélope, la femme aux mille ruses / Isabelle Pandazopoulos

PénélopePar Amélie, bibliothèque de Vif
Pénélope : agir dans l’ombre pour rester libre

Découvrez (ou redécouvrez) l’histoire de Pénélope, personnage célèbre de la mythologie grecque. Pénélope, enfant qui grandit librement avant d’être rappelée à ses obligations de femme : se taire, se faire discrète. Mais Pénélope est un cheval sauvage, elle entend bien mener sa vie comme elle l’entend. Elle mettra donc tout en œuvre pour obtenir ce qu’elle veut et repousser les dangers.

Des chapitres courts, bien rythmés, une écriture fluide : le roman se lit facilement. Quant aux belles illustrations de Gazhole, elles mettent en avant des scènes clés. Une nouvelle collection qui fait la part belle aux héroïnes de la mythologie, met en avant leurs forces, leur détermination.

Le point sublime / Manu Causse

Le point sublimePar Amélie, bibliothèque de Vif

Grandir

Mina, bientôt 25 ans, se refait le film de son existence : son enfance, la danse, la découverte de son corps, à 6 ans, le divorce de ses parents, sa grand-mère Lune. Et son amitié avec Audrey, au lycée. Audrey, adolescente solaire qui attire les regards et les foudres des professeurs à cause de son attitude en classe. Elles vont devenir les meilleures amies. Auprès d’elle, Mina parle de garçons, de sexualité. Audrey semble expérimentée, Mina est fascinée, l’envie. Mais Audrey n’est pas une amie comme les autres et Mina va l’apprendre à ses dépens. Une relation toxique qui laissera des traces dans son esprit et dans son corps. Et puis, il y a l’été de ses 17 ans. Les vacances chez Lune, la rencontre avec Melchior et Kas, leur histoire à tous les trois.

Encore un roman de la collection L'Ardeur à recommander, tant les thèmes abordés sont nombreux (masturbation, viol, relaxions toxiques, relations amoureuses et sexuelles à plusieurs, divorce, différence). La collection s'est agrandie, et tous les romans ont le même objectif : offrir des textes de référence pour les adolescents qui se questionnent sur leur corps, leur sexualité, leur plaisir.

M, l'enfant du siècle / Antonio Scurati

M, l'enfant du siècle Par Christophe, bibliothèque de Varces

S'attendre au pire

L’Italie en 1919 a "la gueule de bois [et] la chemise souillée de sang". Si le pays sort vainqueur de la Grande Guerre aux côtés de ses alliés, le peuple italien est frustré. C’est le biennio rosso : occupations d’usine, mobilisations paysannes… L’Italie est rouge. De l’autre bord, un sentiment de dépossession. Gabriele D'Annunzio, le grand poète national, s’empare de Fiume au dépend des Yougoslaves.

Au milieu de l’effervescence, une violence mal contenue reste tapie, bouillonne. Les anciens des troupes d’assaut – les fameux arditi qui plongeaient dans les tranchées adverses pour des combats à la dague, au corps à corps – sont de tous les coups.

Rempli d’une morgue bovine, un homme louvoie de bordels en maîtresses d’un jour. Il semble sentir cette violence populaire. L’anticiper. Il la chevauche. C’est Benito Mussolini. Les "Faisceaux italiens de combat", chemises noires et têtes de morts, sont créés la même année. Et nous avons 850 pages pour apprivoiser la sidération grandissante qui nous envahit : en même pas cinq ans, le Fascisme, ce mouvement embryonnaire de quelques centaines de chiens fous, va réussir à prendre le pouvoir absolu.

Avec M – L’enfant du siècle, Antonio Scurati aborde par la face nord sa monumentale entreprise de nous convier au cœur de l’ascension de Benito Mussolini. Premier volume d’une trilogie annoncée, ce roman ne cache pas ses ambitions d’essai historique (à la fin de chaque chapitre, des extraits de correspondances, de minutes, d’articles de journaux – cœur de la documentation qu’a dû compiler l’auteur – sont comme de petites gifles ramenant le lecteur à la réalité : tout ceci a bien eu lieu).

Alors oui, évidemment, s’il y a des petites gifles, c’est surtout un gros coup de poing que l’on prend sur le nez (en parlant poliment). Le miroir est glaçant. Tout cela s’est passé il y a cent ans. Serait-ce aller trop vite en besogne de craindre que tout recommence aujourd’hui ? Page 670 : "On commet toujours l’erreur d’attendre la catastrophe à l’horizon de l’avenir, et l’on se réveille un beau matin en proie à une sensation d’oppression qui nous écrase la poitrine, on se retourne et on découvre que la fin est derrière nous, que la petite apocalypse s’est déjà produite et que nous ne nous en sommes même pas rendu compte."

Je vais essayer de me garder des simplifications. L’histoire est complexe et les raccourcis sont faciles.

Dernière page, dernier coup de massue : sous la plume d’Antonio Scurati, Mussolini qualifie les parlementaires italiens de "chatons aveugles enveloppés dans un sac". La suite sera terrible (à lire : M – L’homme de la Providence).

La Fille qu'on appelle / Tanguy Viel

La Fille qu'on appellePar Frédéric, bibliothèque Kateb Yacine de Grenoble

Le corps des un(e)s

Max Le Corre est un boxeur sur le retour, une fierté locale dans la cité maritime où se déroule l’histoire, et le chauffeur du maire. Lorsque Max se croit autorisé à lui demander son aide pour trouver un appartement en ville à sa fille Laura, il ne sait pas quel va en être le prix. L’histoire pleine de tension joue avec les codes du film noir et ses personnages stéréotypés. Et pourtant en jouant avec ce qu’on connait déjà, d’une écriture tortueuse qui vise au plus juste, Tanguy Viel parvient à nous parler d’un temps qui est bien le nôtre -rapport de classe, injustice sociale, domination masculine- et décrypte avec minutie les mécanismes sociaux de l’emprise des puissants sur les gens modestes. Les dernières pages de ce roman bref et percutant sont à la fois grandioses et pathétiques, elles nous laissent KO dans les cordes d’un monde où se distinguent si bien ceux qui possèdent et ceux -celles- qui se font posséder.